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Le processus de démocratisation est souvent irrégulier et semé d’embûches, avec une dynamique de pouvoir qui varie entre les gouvernements et leurs électorats respectifs. Dans pratiquement tous les cas cependant, les gouvernements défavorables aux droits civils et politiques des citoyens disposent tant des ressources que du pouvoir nécessaires pour refuser ces droits. Il est donc impératif d’apporter un soutien aux gouvernements pour mieux les sensibiliser aux droits des citoyens et aux processus nécessaires pour assurer leur accès à ces droits. Il est également fondamental d’offrir un soutien aux groupes de la société civile pour qu’ils puissent exiger à leurs gouvernements de respecter leurs droits aussi bien civils et politiques que sociaux, économiques et culturels. De nombreux exemples attestent de l’importance des approches axées sur « l’aspect de demande » pour assurer la pérennité d’une culture des droits humains.

Dans le cas des jeunes démocraties, il est essentiel que des institutions, des processus et mécanismes soient mis en place pour aider à renforcer les efforts nationaux envers la démocratie.

Ces trente dernières années, on a vu comment la progression vers la démocratie peut faire marche arrière, et comment des pays peuvent avoir recours à des pratiques et des cultures de moins en moins démocratiques. Le manque de soutien envers la mise en place et/ou l’approfondissement de la démocratie dans les pays ayant peu d’expérience dans ce type de processus condamne la démocratie à faire le jeu du hasard, ou dans de nombreux pays, la laisse à la merci d’abus endémiques incontrôlés de la part des gouvernements qui devraient être les premiers à professer le respect envers les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de leurs citoyens.

Cette étude explore le potentiel des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour faire progresser la démocratie et l’autonomisation, notamment au Kenya, en Tanzanie et en Ouganda. Il a été prouvé que l’accès aux TIC et leur utilisation stratégique ont le potentiel de contribuer au développement économique, à la réduction de la pauvreté et à la démocratisation – ils encouragent notamment la liberté d’expression, la libre circulation de l’information et la promotion des droits humains. Étant donnés les indices qui montrent des failles dans la démocratie des pays examinés dans cette étude, il s’avère essentiel de placer les TIC au cœur de la coopération au développement et des approches suivies pour faire progresser la démocratie dans ces trois pays.

Actuellement, les gouvernements de ces trois pays ne sont pas correctement préparés pour répondre de façon critique aux efforts de la population et de la société civile effectués dans le sens d’une réflexion avec leurs gouvernements sur les sujets d’importance nationale – et dans les cas de l’Ouganda et de la Tanzanie, ils ne semblent pas disposés à le faire. Dans ces deux pays, qui sont pourtant théoriquement des États multipartites, l‘émergence d’une opposition politiquement viable est compromise par le soutien limité de l‘État envers les partis politiques, et tout activisme politique des ONG et OSC y est découragé, voire sanctionné, par une interdiction pour les ONG critiquées d’opérer dans certains secteurs sociaux. Pour remédier à cela et faire progresser les pratiques démocratiques au sein des gouvernements, les institutions de promotion de la démocratie – parlements compris – doivent être renforcées pour qu’elles puissent exiger plus de transparence dans les structures de gouvernance et responsabiliser les gouvernements envers leurs mandats respectifs.

Malgré la diversité et la relativement bonne organisation des structures de la société civile dans les trois pays étudiés, celles-ci sont confrontées à des difficultés. On attend souvent des organisations de la société civile qu’elles soient au service de leurs gouvernements, pas qu’elles questionnent leurs priorités, leur stratégie et les succès et échecs de leurs actions. En Ouganda et en Tanzanie en particulier, la plupart des ONG et des OSC offrent des services et ont souvent une relation contractuelle avec le gouvernement national. Petit à petit, cela a engendré des ONG et des OSC à la portée limitée et peu de capacités pour le plaidoyer. En contraste avec l’Ouganda et la Tanzanie, le Kenya a vu apparaître en force un discours sur les droits depuis la fin du monopartisme dans les années 1990. Malgré l’existence d’OSC et d’ONG politiques au Kenya, celles-ci doivent cependant renforcer leur capacité institutionnelle pour assurer la pérennité et la viabilité de leur impact. Dans les trois pays, le défi consiste donc à augmenter la portée de la société civile et sa capacité à utiliser l’espace politique et public afin de pouvoir à la fois prendre part à la prise de décisions et aux pratiques démocratiques de leurs gouvernements et exercer une influence sur eux. Cela implique d’agir tant au niveau de la base en tant que citoyens, avec d’autres acteurs de la société civile, qu’au niveau du gouvernement. L’accès aux TIC et l’efficacité de leur utilisation dans les trois pays sont inégaux devant le fossé rural/urbain, entre les hommes mieux éduqués (qui ont un meilleur accès aux ressources) et les femmes moins éduquées et souvent analphabètes, entre enfin les riches et les pauvres. Qu’il s’agisse des populations urbaines ou rurales, le principal outil de communication est le téléphone portable, tandis que l’accès à l’internet se limite en grande partie aux zones urbaines. Le coût élevé de la connectivité internet internationale – conséquence de la dépendance à la connectivité par satellite notamment en Ouganda et en Tanzanie – signifie que même au sein des zones urbaines, la connectivité est l’apanage d’une petite élite aisée.

On peut également attribuer la faible croissance de l’internet et de son utilisation à l’infrastructure limitée, notamment les câbles de fibre optique et l’électricité en région rurale, la faible utilisation de l’internet au sein du gouvernement, des écoles, des services de santé et des institutions agricoles, le manque de formation en TIC, le manque de contenu local sur l’internet ou encore la faiblesse des revenus des ménages. La région est cependant sur le point d’avoir accès à la fibre large bande, puisqu’actuellement, plusieurs projets veulent relier ces pays aux câbles sous-marins de fibre optique au large des côtes de l’Afrique de l’Est.

Dans moins de deux ans, la connectivité large bande sera plus facile à obtenir, et devrait être plus accessible pour la population à condition que des mesures de réglementation et des cadres politiques adaptés soient mis en place. Dans l’ensemble de ces pays, l’accès à la large bande doit devenir une priorité nationale – et ce même dans les plus petits villages – afin de permettre aux habitants des zones géographiques les plus reculées et aux groupes sociaux les plus marginalisés de participer au débat national et de délibérer sur les sujets et décisions qui portent sur leur vie quotidienne.

Le rapport se conclut avec des recommandations sur de possibles stratégies et actions qui permettraient de soutenir les efforts de démocratie dans les trois pays examinés, à travers l’utilisation des TIC. Il propose trois stratégies prioritaires :

* Sensibiliser et faire comprendre (I) le potentiel des TIC, notamment dans le contexte d’un très grand nombre de personnes aujourd’hui capables de se connecter d’une façon ou d’une autre avec des téléphones portables, (II) les principes et pratiques de la démocratie et (III) le potentiel des TIC pour faire progresser la démocratie. * Effectuer un renforcement institutionnel des OSC, ONG et praticiens des médias pour qu’ils puissent prendre part activement aux questions de démocratie et au renforcement des acteurs de l’État et ainsi améliorer la transparence et la bonne gouvernance. * Renforcer la voix de la communauté dans les débats publics et les prises de décisions ainsi que pour garantir la transparence et la responsabilité du gouvernement devant ses actes.

Ces interventions stratégiques s’adressent principalement aux acteurs de la société civile et à la mise en place d’une « demande » pour améliorer la participation et la démocratie. Il est important toutefois que Sida continue de rechercher les modalités d’obtention d’un impact positif sur le cadre politique et réglementaire dans lequel les acteurs de la société civile agissent. Il convient donc de considérer également comment soutenir les initiatives de renforcement des institutions d‘État – notamment un système judiciaire indépendant et des parlements à diversité politique – qui puissent effectuer des critiques et avoir un impact positif sur la capacité des électeurs à participer de façon fondée à la prise de décisions sur des sujets qui affectent leur qualité de vie, notamment un accès abordable aux plateformes et outils de communication.