Étant l’un des marchés de radiodiffusion et de télécommunication de l’Afrique les plus libéralisés, le Nigeria a pris de l’avance en matière de migration vers la diffusion numérique en se fixant l’objectif audacieux de terminer la migration en juin 2012. Mais un nouveau rapport d’APC rédigé par l’expert en TIC, Fola Odufuwa, indique que le Nigeria n’atteindra probablement pas la cible et qu’il lui faut revoir ses priorités ne serait ce que pour atteindre la cible obligatoire de 2015 fixée pour l’ensemble des pays ouest-africains.
Odufuwa soupçonne que l’approche trop optimiste actuelle du Nigéria pourrait être due au fait que même si une bonne partie du travail a déjà été fait – la formulation de politiques nationales, l’élaboration de stratégies de migration et la mise en place d’une équipe chargée de la mise en œuvre du numérique – l’absence de promulgation de lois d’habilitation pour l‘ère numérique, qui sera là dans quelques semaines, est préoccupante. Actuellement, les efforts déployés pour respecter les délais fixés semblent limités, bien que la National Broadcasting Commission (NBC) fasse déjà la promotion de la transmission de signaux numériques par les connexions de diffusion directe, que les radiodiffuseurs privés aient commencé à remplacer leur équipement, que certaines normes numériques soient établies et que de nouveaux modèles de distribution de la radiodiffusion et des signaux soient en préparation.
Pourtant, selon l’analyse Odufuwa, on est au point mort, et si le Nigeria veut atteindre même l’objectif de 2015, il essentiel d’obtenir l’approbation d’un cadre réglementaire pour la migration afin que les choses recommencent à bouger.
Les événements politiques sont un frein
Le président Jonathan Goodluck a récemment annoncé que le gouvernement s’engageait à accélérer la migration. « Mais en raison des récentes élections générales en avril dernier, la majeure partie de l’année a été consacrée à de la « politique politicienne » et le nouveau gouvernement est à peine installé », explique Odufuwa.
« Le projet de loi qui établit le cadre réglementaire et la base juridique du prochain processus doit être voté par le Parlement. Or, le Parlement représente une pierre d’achoppement car rien ne s’y passe. L’avenir de la migration au numérique au Nigeria est incertain »
Le nerf de la guerre : Le financement reste à trouver
La deuxième pierre d’achoppement est le financement, indique Odufuwa à APC. Il faut financer l’achat de l‘équipement, y compris des décodeurs. Mais l’exercice financier au Nigeria va de janvier à décembre.
Dès que nous entrons dans les mois en « embre » [à partir de septembre], les ministères se démènent pour que soit dépensé tout l’argent du budget de 2011 ». Ils ne donnent donc pas la priorité au budget de 2012 qui n’a même pas encore été établi. Et le budget ne peut pas être fixé tant que le projet de loi-cadre n’est pas adopté », explique Odufuwa.
Alors que les chaînes de télévision elles-mêmes ont besoin d’argent pour terminer leur processus d’installation, l’installation des décodeurs pour les Nigérians est en tête de liste des priorités. Les stations publiques reçoivent environ 70 % de leur financement de la publicité et du marketing, alors que le gouvernement apporte les 30 % restants pour les dépenses en immobilisations et les charges récurrentes.
« La numérisation est essentiellement une dépense en capital », affirme Odufuwa. « Les stations publiques auront besoin d’un financement du gouvernement pour acquérir les immobilisations – mais pour le moment, aucun financement n’est prévu à cette fin. Il faut donc que la loi soit adoptée pour pouvoir les inclure dans le budget ».
Fusionnement des régulateurs
D’énormes pressions s’exercent actuellement pour regrouper les deux régulateurs, la Nigeria Communications Commission (qui régit les télécommunications) et la Nigerian National Broadcasting Commission (qui est le radiodiffuseur national). Les plans visant à fusionner les deux et former un ministère et une commission des technologies de la communication, donnant ainsi pour la première fois à la technologie son propre ministère, ont fait l’objet d’une certaine résistance.
La fusion faciliterait la transition vers la diffusion numérique. « Pour le moment, si on veut diffuser quelque chose, il faut obtenir une licence auprès du régulateur de la radiodiffusion et une autre auprès du régulateur des télécommunications. Il serait beaucoup plus efficace d’obtenir une licence d’un seul organisme », explique-t-il.
Mais cette idée se heurte à une certaine opposition. Odufuwa compare la fusion à celle de deux sociétés. « Comment décider qui sera le nouveau PDG? » demande-t-il. La fusion des deux organismes de réglementation apporterait certainement plus d’efficacité et suivrait les meilleures pratiques et normes établies en Europe et en Occident, mais Odufuwa doute que le processus se passe en douceur au Nigeria.
Par conséquent, à cette étape de pré-fusion, des questions demeurent. Il faut accorder de nouvelles licences de contenu, établir de nouvelles distributions de signaux et harmoniser les licences actuelles. Or personne ne sait quel organisme s’en charge actuellement.
Tout rentrera dans l’ordre
Comme la plupart des autres experts en TIC qu’APCNouvelles a interviewés pour nos rapports sur la migration vers le numérique, il estime que la transition présente trop d’avantages pour ne pas aller de l’avant. Les Nigérians seront les grands perdants si le gouvernement n’agit pas.
« La plupart des pays africains ont tendance à toujours attendrela dernière minute. Tout le monde se démènera juste avant l’échéance pour tenter de respecter ses obligations, mais on ne fait pas grand-chose aujourd’hui pour respecter l‘échéance de 2015 », dit-il.
Par conséquent, aucune des stations privées du Nigeria a migré vers le numérique en raison de l’absence de cadre. Odufuwa prédit qu’une fois l’impasse réglée, les diffuseurs de signaux et les chaînes de télévision auront le feu vert pour commencer la transition, et la population, qui jusqu‘à présent est très peu informée à ce sujet, sera également avertie.
La connaissance du marché est très faible, voire nulle. « Mais avertir le marché est l’une des dernières étapes du processus de transition », explique Odufuwa. « À sept à huit mois de la date limite auto-imposée, les clients devraient être déjà au courant de la transition. C’est pourquoi le délai sera probablement modifié ou ne sera tout simplement pas respecté ».
« Plus le Nigeria migrera rapidement, plus nous pourrons en récolter rapidement les avantages numériques – les fréquences du spectre libérées que les entreprises peuvent utiliser pour offrir un accès internet et mobile concurrentiel », dit-il.
« Mais il semble bien que le Nigeria se prépare pour l’échéance de 2015 comme les autres pays de l’Afrique de l’Ouest ».
Cet article a été rédigé dans le cadre du travail d’APC sur la Migration de la diffusion numérique en Afrique de l’Ouest et est tiré du rapport de Fola Odufuwa, Digital broadcast migration in West Africa Nigeria Research Report [en anglais]. Lire d’autres rapports et articles sur la migration numérique en Afrique .
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